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Opinion : Le shiKomori, une richesse inconnue

Opinion : Le shiKomori, une richesse inconnue

Culture | -   Contributeur

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La richesse de la langue comorienne s’explique d’abord par sa richesse en mots de vocabulaire. Cette richesse lexicale s’observe dans le vocabulaire d’origine comorienne, les emprunts et le néologisme et dans sa capacité à pouvoir décrire notre expérience, notre mode de vie sans contrainte aucune. Agglutinant, le shiKomori permet la construction des mots à partir de nombreux préfixes et suffixes collés les uns aux autres.

 

A la lecture des livres écrits en shiKomori, j’ai remarqué que la langue arabe constitue une de nos principales ressources d’emprunt. Bien entendu, nous ne sommes pas sans savoir que le shiKomori fait partie des langues bantu. De nombreux termes possèdent un doublon d’une même étymologie. C’est pour cette raison qu’on trouve aujourd’hui beaucoup de mots comoriens en langue bantoue. Citons par exemple mzungu, bibi, bile, bwana, dirisha.

Les emprunts à d’autres langues sont aussi nombreux notamment à l’arabe. Les mots siri, nia, katili, swibira, dunia sont d’origine arabe et sont parfaitement intégrés à la langue comorienne et à sa configuration phonétique et orthographique.

Je me suis rendu compte que le français a fourni encore quelques mots à l’exemple de beni, furiapa, fenya, kilo, loteli qui correspondent à la déformation des mots français benne, fruit à pain, feignant, kilos, hôtel. Par contre

 

les emprunts à d’autres langues comme l’anglais, le portugais et l’indien sont relativement faibles.

 

Malgré la publication très récente de la littérature comorienne écrite en shiKomori, le mot n’existait qu’à l’oral. Cette particularité propre au comorien n’a pas fait, malgré les études faites sur cette langue, l’objet d’un travail beaucoup plus approfondi. Par conséquent, les Comoriens restent prisonniers de leur expérience langagière, et beaucoup d’entre eux écrivent ce qu’ils ont l’habitude d’entendre.

Beaucoup de mots utilisés en shiKomori nous viennent donc de la langue swahili, de l’arabe, du français, de l’anglais, du portugais. Toutefois, l’histoire nous apprend à constater que l’usage de certains mots comoriens d’origine française dans la langue comorienne se révèle comme une manifestation de la volonté d’”imiter” une langue alors sentie comme prestigieuse. Par conséquent, cet usage ne relève pas d’une recherche pour enrichir le comorien.

Quand on passe d’une langue à l’autre, nous comprenons que ce ne sont pas les noms de choses qui changent, c’est-à-dire ce sont souvent les choses elles-mêmes, ou plutôt la manière de les considérer.

Si l’on compare par exemple, les deux mots comoriens d’origine arabe évoquant hawa (temps), à savoir hawa et burda, on découvre, en réalité, qu’ils ne correspondent point à terme entre eux. Le mot hawa signifie tantôt air, tantôt un climat. Le mot burda signifie un passage permanent d’un air frais.

Un seul mot peut contenir plusieurs unités de signification. À l’inverse le groupe de mots paya la shiyo, hitswa-daho, mbe-nene ne présente qu’une seule unité significative.                                          
Tout ce qui a été dit plus haut permet de penser qu’un mot ne saurait avoir un sens, mais bien une multiplicité de sens possible, dépendant des divers contextes où il se trouve.

Tsisonyo kanga (kanga = corbeille)
Hanirende kanga (kanga = sous-estimer)
Hanipvingi kanga (kanga = porter quelqu’un sur les épaules)
Yemna kanga wa mdji mdzima (kanga = ankiba)

De ce fait, les Comoriens ont dans leurs réservoirs langagiers des termes qui sont pour eux seuls chargés de significations particulières, liées souvent à leur expérience, à leurs souvenirs, à leur religion, à leurs habitudes de pensée, à des vécus communs à un groupe, c’est ce que les chercheurs ont proposé d’appeler “pouvoir de connotation”.

Ce pouvoir de connotation s’ajoute à celui de dénotation qui est le signifié objectif représenté par le dictionnaire. Par exemple, le jour mardi n’est pas pour les uns une journée propice à celui qui veut se marier ou déménager. Le jour vendredi est à la fois un jour de prière collective et une journée incarnant le bonheur et la prospérité.

Le shiKomori est une belle langue bien en système d’expression orale et écrite, charmante, éloquente en effet, malgré notre manque de confiance en elle. L’enseigner, l’utiliser à l’écrit, elle deviendrait un instrument qui favoriserait les rapports sociaux, les échanges mercantiles pour un avenir qui enchante.

Abdou Djohar, docteur
en Science du langage.

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